[4] Evidences, évidences !
Il y a quelques dizaines de siècles nos ancêtres ayant épuisé la faune et la flore sauvages dont ils se nourrissaient, ont été contraints par la crise alimentaire qui s'en suivit, de se courber vers le sol pour y cultiver des plantes nutritives, céréales et légumineuses.
C'est ainsi que ceux qui passaient leur temps de façon ludique en chasses et en cueillettes, vivant quasiment au jour le jour, sans stock important, ont été réduits à devoir gratter la terre en plein soleil, à transporter sur leur dos terre, pierres, bois, récoltes et eaux, et à édifier greniers et silos pour y stocker en réserve pour l'année, la production de leur besogne.
Ils ont construit une palissade autour du village pour sécuriser la réserve de vivres contre ceux qui avaient fait une mauvaise récolte, ou qui n'avaient pas de terre à exploiter. Ils ont formé une milice pour garder le mur d'enceinte, ils ont hissé un capitaine au poste de commandement, et qui a fini par exiger que ceux qui n'étaient pas soldats, le nourrissent lui et ses hommes, échappant ainsi aux corvées qui sont le lot des travaux agricoles. Car il est fréquent, devant une activité pénible, de se tourner vers ceux qui ne pourront pas refuser de s'y astreindre, les plus faibles.
Une oligarchie est née, rackettant en échange de sa protection, une mafia organisée ensuite en une aristocratie. Les castes se sont figées, celui dont le père creuse la terre, creusera la terre, et celui dont le père est armé, sera armé, et vivra du travail des autres.
L'organisation est la même chez ceux qui se sont fait éleveurs nomades de grands troupeaux, grâce au cheval. Le stock ici est le cheptel, et la primeur est laissée à ceux qui ont la charge de sa protection face aux menaces extérieures.
Adversités qui peuvent être matérielles, tel un clan voisin ennemi, ou irrationnelles, comme la mauvaise disposition des dieux.
L'objectif est la gestion, et la préservation, du stock d'une année sur l'autre ; son accaparement, sa protection, et sa redistribution. L'activité ludique du chasseur-cueilleur dans la nature est devenue l'obsession de profit pour le thésauriseur de blé, le jeu violent de "chien de berger" pour le milicien, et le servage pour la grande part du reste de la population, qui du point de vue des maîtres fait depuis longtemps partie du stock à gérer.
Depuis l'invention de l'agriculture les groupes humains sont basiquement organisés sur le modèle de l'exploitation agricole : une ressource sur un territoire à faire mettre en valeur par une force de travail, contrainte si besoin, à l'aide de matériel et de savoir faire, pour un rendement maximum.
La tâche la plus importante pour les propriétaires étant la gestion de la main d'oeuvre : elle se doit d'être soumise et appliquée à son emploi, et ce qui est moins mis en avant : elle se doit de rester dans sa condition modeste, elle ne doit pas bénéficier du même niveau de vie que ses maîtres, pour la raison principale que les ressources étant limitées elles leur sont réservées en priorité.
D'où à travers l'histoire, les régulières périodes de faillites, où les petites gens qui avaient réussi à gagner un peu d'aisance sont contraints de brader leur lot à ceux qui sont "trop gros pour choir". Pour préserver la postérité des dynasties, le reste de l'humanité subit de manière cyclique une décroissance forcée, ou volontaire pour les sages, et les serviles.
Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis l'esclavage brutal, les nombreuses techniques de manipulation des individus et des groupes pallient efficacement aux fouets et aux chaînes. Aujourd'hui les récoltes sont engrangées dans les paradis fiscaux.
"Car une évidence historique dont on ne veut rien savoir dans le spectacle n’est plus une évidence."
Comment pense la classe dirigeante, de Raul Zibechi dans la Jornada
La pathologie de la riche famille blanche, de Chris Hedges dans le Partage